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Pourquoi se marier ?

Dernière mise à jour : 18 août 2023


Mari saute de joie


Dans son livre On arrête ? ... on continue ? Faire son bilan de couple, Robert Neuburger, psychiatre, psychanalyste et thérapeute de couple et de famille pose la question pourquoi se marier.

Je reproduis sa préface où il écrit :

« Chaque époque invente son couple. La nôtre ne fait pas exception. Les sociologues du couple et de la famille ont fait à cet égard des constats assez surprenants. Tout d'abord, si la fonction essentielle du couple a longtemps été d'établir puis de maintenir une famille, cela ne semble plus être le cas aujourd'hui. Le couple aurait quitté la famille, il existerait en dehors d'elle : quand on n'est plus satisfait de sa vie de couple, et même si l'on a des enfants, on n'hésite plus à se séparer de son ou sa partenaire.


« De même, un clivage s'est instauré entre fonction parentale et vie de couple. De récentes études ont ainsi montré que, même lorsqu'elles disposent d'un partenaire, beaucoup de femmes ne décident d'avoir un enfant que si elles se sentent capables de l'élever seules.


« Alors, pourquoi se lancer dans un couple aujourd'hui ? Pour des raisons affectives? Deux personnes ont envie de se mettre en couple parce qu'elles s'aiment. Certes. Mais est-ce une bonne façon de préserver la relation amoureuse ? De nombreux jeunes semblent ne pas le penser, puisqu'ils adoptent le principe de la résidence séparée. Chacun chez soi, donc, comme si la vie de couple et la vie amoureuse étaient devenues antinomiques.


« Pour des raisons économiques ? Mais actuellement le mariage n'est plus considéré juridiquement comme une rente de situation. En outre, la plupart des jeunes couples considèrent que si chacun doit contribuer aux frais de la vie commune proportionnellement à ses revenus, on peut aussi rester gestionnaire de ses propres biens.


« Pour des raisons pratiques ? Il n’est pas évident que la vie à deux comporte sur ce point tant d'avantages que cela. La gestion commune d'un foyer engendre souvent des conflits d'autorité et de décision. Qui va conduire ? Qui va décider des achats ? Qui va décider des programmes télévisés ? Être en couple, c'est parfois mal faire à deux ce que l'on faisait très bien tout seul !


« Pour trouver une appartenance? C'était mon hypothèse. J'en doute aujourd'hui, au vu des dernières statistiques sur la solidité de l'institution-couple: au moins un couple sur deux ne perdure pas. On ne peut donc considérer l'appartenance à un couple comme une base de sécurité. D'autres institutions : les cercles amicaux, les clubs sportifs, les cercles religieux, syndicaux ou politiques, semblent plus fiables et méritent un investissement qui apporte plus de stabilité.


« Pour s'assurer l'exclusivité de la relation avec l'autre? Mais on sait bien depuis longtemps que, s'agissant de la fidélité, même le mariage n'apporte guère de garanties ...


« Pour des raison, sexuelles, enfin ? Mais alors, pourquoi tant d'hommes et de femmes dissocient-ils vie affective et vie sexuelle ? Beaucoup s'épanouissent mieux sexuellement avec un ou une partenaire qui leur est affectivement neutre. “ Je préfère faire l'amour avec n'importe qui plutôt qu'avec quelqu'un “, me disait une patiente !


« Objectivement, si l'on additionne toutes ces « non-raisons » mises en évidence par les sociologues, une seule conclusion s'impose : tout sauf le couple ! Mais pourquoi, dans ces conditions, la plupart des gens continuent-ils, quels qu'en soient les aléas prévisibles, d'aspirer à une vie de couple ? Qu'est-ce qui justifie la survie de cette vieille institution ? Quel est le véritable enjeu du couple aujourd'hui ?


« Au-delà des conflits et rancoeurs rapportés lors des thérapies de couples, j'entends depuis quelques années une souffrance qui s'exprime souvent de manière latente, mais aussi, parfois, avec clarté : “ Je ne me sens plus exister en tant que femme ( ou en tant qu'homme ). “ II apparaît de plus en plus que ce sentiment d'exister dans son identité sexuelle est actuellement et principalement apporté par le couple.


« Il n'en a pas toujours été ainsi. Chez l'homme, le couple contribuait certes au sentiment d'appartenance virile, mais de façon marginale par rapport à la fonction professionnelle et sociale. Des fonctions de pouvoir, même limitées, pouvaient de ce point de vue apporter une certaine satisfaction par le biais de la domination exercée sur des femmes. L'égalité professionnelle, la lutte contre le harcèlement sexuel ont fort heureusement limité ces possibilités. Mais corrélativement la relation à l'autre dans le couple est devenue pour l'homme la source majeure d'apport de sentiment. La femme, quant à elle, pouvait se sentir exister en tant que telle par l'exercice de la maternité, par sa place particulière au foyer; mais la vie moderne ne lui confère plus beaucoup d'avantages ou de reconnaissance sur ce point. Le regard et les égards de l'autre sont bien plus nécessaires que par le passé : être femme n'est plus un état, mais une conquête.


« Ce sentiment désormais recherché dans et au travers du couple – pleinement exister en tant qu'être sexué : homme ou femme – n'a rien a voir avec une quelconque réalité biologique : on naît mâle ou femelle et l'on devient homme ou femme, comme peuvent en témoigner celles et ceux qui ont choisi la voie homosexuelle ou, plus parlante encore, la voie transsexuelle. L'identité sexuelle ne doit pas plus être confondue avec l'exercice de l'activité sexuelle. Dans un couple, on peut se sentir pleinement reconnu dans son identité sexuelle et avoir relativement peu de pratiques sexuelles. A l'inverse, le fait de servir d'exutoire

– même fréquent – à un ou une partenaire plus préoccupé-e de soulager ses besoins que par ce qui peut s'échanger dans l'acte lui-même apporte peu, on s'en doute, de nourriture identitaire. Cela dit, sexualité et sentiment d'identité sexuée ne sont pas non plus totalement disjoints : on observe de fréquents malentendus dans les couples ou l'un des partenaires, souvent la femme, exprime qu'elle ne peut avoir de relations sexuelles tant qu'elle ne se sent pas reconnue comme telle - ce à quoi son partenaire rétorque qu'il ne voit pas pourquoi il pourrait la reconnaître en tant que telle s'ils n'ont pas de relations sexuelles !


« Parmi toutes les appartenances qui nous soutiennent, chacune nous confère une parcelle d'identité (filiale, parentale, professionnelle, fraternelle), l'identité sexuelle, longtemps sous-estimée, est un pilier majeur de notre sentiment d'exister – et d'exister pleinement. Ce que l'on appelle « dépression », qui n'est rien d'autre que la perte du sentiment d'existence, est à mettre en relation avec une perte d'appartenance, souvent le couple. La perte du couple ou les difficultés dans le couple entraînent autant de souffrance parce que, au-delà de

la blessure narcissique liée a route rupture, à tout échec, elles nous font douter de notre identité d'homme ou de femme.


« D’où l’une des ambitions de ce livre. Au travers d'aspects parfois modestes ou triviaux, il vise à faire apparaître l'essentiel du couple : comment se joue cet échange identitaire ? Je serais heureux qu’il permette, avant que radicalement celui-ci ne se “familiarise “ ou ne se “ fraternise “, bref, avant qu’il ne soit trop tard, de refocaliser le couple sur ce qui le fait perdurer : être une source identitaire, permettre à chacun de se sentir exister non seulement en tant que père ou mère, voire frère ou soeur, mais aussi, et surtout, en tant qu'homme ou femme.»

Une autre excellente lecture : Richard Cloutier, Fonder une famille aujourd'hui, pourquoi donc ? dans La psychologie au quotidien sous la direction de Simon Grondin, Les Presses de l'Université Laval, 2021, pp. 83 à 97

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